Dernier jour 12h21

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Agencia Internacional de Noticias, Barcelone, Aujourd'hui 12h20. Le maire de Barcelone et le président du comité de soutien déclarent que la Sagrada Familia, la cathédrale inachevée de Gaudi, sera terminée coûte que coûte avant (sic) « les échéances dramatiques qui guettent l'humanité ».

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Michael et Ada s'étaient arrêtés entre deux grosses poubelles de format industriel, le long d'un mur. Ils attendaient, cachés là, tandis que Rita suivait la progression des policiers. Elle venait d'annoncer que ces derniers s'étaient redéployés d'une façon qui l'avait surprise. Soudain, elle dit :

— Marche arrière ! Revenez dans l'allée !

— Pourquoi ?

— Ils se sont séparés, ils arrivent par ici chacun par une rue différente !

— Et l'un d'eux va passer ici ?

— Oui, dans une minute et vingt-neuf secondes, celui qui est le plus proche de nous va avoir l'option de tourner au coin. Or, du fait du schéma de déploiement qu'ils utilisent, j'estime qu'il y a une forte probabilité qu'il le fasse.

— Schwartz ! cria Michael,

— Je vous recommande de revenir en arrière, insista Rita, c'est la moins mauvaise solution.

— Non, répliqua d'emblée Michael, c'est l'endroit où ils pensent que nous sommes, ils le fouilleront de fond en comble.

— Ok, fit Rita, je peux peut-être vous ouvrir la porte, juste là !

Michael fronça les sourcils.

— Tu es certaine qu'elle n'est pas sous alarme ?

— Non, reconnut Rita, mais j'ai identifié la société qui loue le hangar et je suis en train d'attaquer leur serveur.

Michael regarda la porte en question. Elle avait un air massif et inamical. Un vieux clochard dormait à côté. Ou alors peut-être il était mort, sa posture était étrange et il restait le long du mur affalé sous la pluie à moins d'un mètre de l'abri du porche.

— Est-ce qu'il y a une sortie de l'autre côté ?

— Probabilité quatre vingt pour cent.

— Alors, laisse tomber.

Michael regarda Ada et autour d'eux. Ses yeux s'attardèrent sur la grosse poubelle derrière Ada, dont il croisa à nouveau le regard. Elle comprit ce qu'il avait l'intention de faire et elle se retourna. Vive comme l'éclair, elle le devança afin de soulever le couvercle du conteneur. Une puanteur abjecte lui fit détourner le visage et elle laissa retomber le rabat. Il y avait un restaurant chinois au coin dont l'enseigne disait : spécialité de fruits de mer. La poubelle était pleine à ras bord. Michael ouvrit celle d'à côté, l'odeur était tout aussi infecte, mais il restait beaucoup de place. Michael repoussa le couvercle contre le mur et mettant un genou au sol, il plaça ses mains jointes ouvertes vers le haut. Ada vint aussitôt y poser son pied et il la propulsa vers le haut. Elle prit appui des deux mains sur le bord et commença à passer une jambe.

— Une minute, fit Rita.

Michael poussa Ada sous les fesses. Il la fit tomber à l'intérieur où elle roula avec un petit cri dans un fracas de crissements d'emballages plastiques écrasés. Michael jeta le sac de Rita et fit un rétablissement sur le bord. Il plongea à son tour en veillant à ne pas tomber sur Ada qui se dépêtrait avec une grimace de dégoût du mélange de caisses de poison en polymères et des dizaines de sacs en plastique pleins d'ordures sur lesquels elle était tombée. Michael se redressa promptement et referma la poubelle sur eux.

— Rita, fit-il, si un flic tourne au coin, auras-tu le temps de faire un arrêt d'urgence avant qu'il soit assez près pour te détecter ?

— Non.

— Alors fait le maintenant, je te redémarrerai quand le danger sera passé.

Il y eut une seconde de silence et Rita dit :

— Arrêt d'urgence dans sept secondes. À tout à l'heure.

Ils entendirent son ventilateur qui s'arrêtait. L'air de la poubelle était irrespirable. Il faisait aussi très chaud et on distinguait juste une craquelure de lumière au milieu du couvercle cassé. Ada s'était accroupie, ses deux mains sur son visage pour boucher son nez, et elle ne bougeait plus. Michael gigotait de son côté. Ada entendit un bruit de déchirement et l'odeur de poisson pourri devint encore plus épouvantable. La main de Michael lui tapa sur l'épaule.

— Ada, met ça sur toi, au cas où il ouvrirait la poubelle pour regarder.

Ada attrapa le sac éventré à tâtons. Alors qu'elle se le mettait sur la tête en combattant une nausée subite, elle entendit qu'il en déchirait un autre. Elle aurait pu croire qu'il était impossible de faire pire, mais une puanteur abominable envahit leur cachette, un mélange d'excréments de chat et de déchets de cuisine en putréfaction. Elle eut un spasme et sentit, avec une poussée d'adrénaline fulgurante, qu'elle allait vomir. Elle tenta de s'en empêcher, mais elle n'y parvint pas. En trois rétractions douloureuses, elle parvint juste à épargner ses genoux et se retrouva tremblante, suffocante. Elle combattait une envie irrépressible de se lever et d'ouvrir le couvercle pour respirer, pour sortir, échapper à cet enfer. Elle sentit la main de Michael qui vérifiait à tâtons qu'elle était bien recouverte par le film. Alors, ils entendirent les pas pressés du policier qui approchait. Il avait des ferrures sous ses semelles. Quand il fut tout près, un signal se déclencha, fait de bips stridents. Ada visualisa dans son esprit l'un de ces gadgets que les agents portaient à la ceinture. Michael lui avait expliqué que ces trucs détectaient toutes sortes de choses, l'activité électromagnétique, les métaux, certains gaz, la drogue, les explosifs. D'après Michael, ces engins produisaient aussi de nombreuses fausses alertes. Les pas s'arrêtèrent. Michael et Ada entendirent que le flic soulevait le couvercle de l'autre poubelle. Ada crispa tous ses muscles. Sentant son cœur qui menaçait de lui ouvrit la poitrine et de sortir en explosant, elle prit conscience qu'elle était en apnée depuis trop longtemps. Elle se força à respirer très lentement, terrorisée par l'idée qu'elle allait tousser. À côté, on entendait le policier qui farfouillait dans la poubelle.

— Ah, Schwartz de merde ! fit une voix sonore de femme, dégoûtée, essoufflée.

Le couvercle claqua en se refermant. La policière fit trois pas et le même signal se fit entendre à nouveau. Deux impacts de semelle ferrée tintèrent. La lumière tomba sur Ada et Michael, cachés sous leurs films de plastique. Il s'écoula deux secondes, et puis le couvercle se referma avec une grande vibration et ils entendirent la policière qui s'éloignait vers la piscine en maugréant des jurons de dégoût. Ada attendit en comptant jusqu'à vingt. Retirant le sac de sa tête, elle chuchota d'une voix tremblante.

— On peut sortir ?

— Non, Ada. Attends ! Attends ! Avec un peu de malchance, elle s'est arrêtée au coin pour surveiller les deux axes.

Ada attendit ce qu'elle pensa être une minute entière, puis elle sentit qu'elle allait très mal et elle demanda :

— Michael, il faut que je respire.

Michael se redressa et souleva le couvercle avec le haut de sa tête, très progressivement. Il regarda par la minuscule fente qu'il avait créée et dit à Ada :

— Viens prendre l'air, il faut que je redémarre Rita.